Découverte du paradis

Angélique n'avait pas dormi de la nuit. Elle s'était couchée très tard et n'avait pas réussi à fermer l'oeil. Elle était donc sortie pour prendre l'air frais du matin. La rosée matinale avait humidifié la nature verdoyante et tout brillait de mille feux sous le soleil blanc. Elle se promenait,emmitouflée dans son châle en laine blanche. C'était spendide. Même le palais de Köln n'avait pas de tels jardins. Elle avait l'impression d'être une fée de conte. Elle pensait à tous ceux que sa grand mère lui racontait, le soir, à la veillée. Ces fées qui se cachaient dans les arbres, sous les feuilles, dans les lacs, c'était ici qu'elles habitaient, si elles existaient. Dans la légère brume matinale, c'était très romanesque. Les jardins portaient bien leur nom...

*Shmuel s'était levé avec l'aurore, ce qui lui arrivait une fois tous les deux/trois mois environ. En général il n'avait pas de problèmes pour trouver le sommeil. Il pouvait presque dormir sur commande quand la situation l'exigeait. Mais ce matin-là, il s'était réveillé tôt, étrangement oppressé et il avait eu besoin d'air frais pour expulser cette angoisse sourde venue de nulle part. Il aperçut alors Angélique et alla la rejoindre.*

- Bonjour Angélique! Vous vous souvenez de moi? Comment va votre maitresse ce matin?

Angélique sursauta lorsqu'elle entendit son nom. Elle croyait être seule. Elle reconnut imméditement l'Intendant des cuisines et le salua avec une révérence:

-Bonjour Monsieur! Oui, je me souviens bien de vous. Ma maîtresse se porte mieux, oui, merci. Je pense qe ce n'était que passager...

Elle avait effectivement reprit le contrôle de ses nerfs dans la soirée et fait preuve de courage, comme à son habitude. Ce qui ne voulait absolument pas dire que tout allait bien. Mais en tous cas, il aurait été impossible à qui que ce soit d'autre qu'Angélique, qui la conaissait sur le bout des doigts, qui était sa confidente, de penser le contraire. Elle était très forte à ce jeu là. Des années d'entrainement...

-Je voulais vous remercier pour le gâteau: il était fabuleux!

Puis elle demanda, consciente d'être légèrement trop curieuse:

-Mais qu'est-ce qui vous amène ici, de si bon matin?

Elle, elle se levait tôt, c'était normal, elle était une domestique! Mais lui?

- Ce qui m'amène? Une petite insomnie rarissime! Alors comme ça vous avez aimé le gâteau? Magnifique! Dites moi, il me semble que... Enfin, que votre maitresse est un peu nerveuse... A-t-elle peur de ne pas être choisie, ou de l'être?

*Sa récente entrevue avec Lorelei dans la chapelle l'avait bouleversé...*

Angélique se tourna vivement vers Stepan. Perspicace, cet homme. Mais elle se méfiait. En fait, elle était de nature méfiante. Elle n'accordait sa confiance qu'au compte goutte. Elle se composa donc un visage serein et répondit, avec une étourderie feinte - mais après tout elle n'était qu'une domestique, n'est-ce pas? Elle n'était pas censée être dans le secret des Dieux!- :

-Mais pourquoi n'aurait-elle pas envie d'être choisie? C'est le rêve de toute femme noble, je crois, de devenir souveraine! Et Tsarin d'un si grand et beau pays en plus!

Faire la naïve pour protéger sa maîtresse, c'était la clé.

Après avoir parcourut la merveille qu'étaient les jardins le matin lorsque personne ne les avaient envahis, Anushka finit par reconaitre la silhouette familière et presque inespérée de Stepan au loin.

En s'approchant, elle réalisa qu'il était en plaisante compagnie. En effet il marchait avec ce qui ressemblait fortement à...elle plissa les yeux pour mieux voir... Angélique. Tient donc.

Elle rechignait un peu à s'introduir dans la conversation, tout simplement parce que techniquement ils étaient tous les deux ses supérieurs, mais quand elle était seule avec eux les limites étaient un brin plus floues. De plus, elle mourrait d'envie de savoir ce qui se racontait, mais pas moyen de le faire sans se faire remarquer dans ces jardins déserts.

Anushka décida donc de marcher vers eux en dirrection du château. Comme à son habitude, elle leur enverrait un léger hochement de tête pour les saluer et leur faire signe qu'elle ne les ignorait pas. Si Stepan relevait, elle les interromperait. Sinon, elle ferait comme tout bon domestique et attendrait une situation plus adéquat.

- Effectivement, pourquoi?

*Shmuel décida de ne pas insister. Il savat bien que la méfiance pouvait être une bonne alliée, voir carrément, la meilleure. Angélique avait raison de réagir ainsi. Après tout, elle le connaissait à peine! Voyant approcher Anushka, il la salua*

- Eh bien, bonjour Anushka! Tu es debout tôt dit donc! Tu n'étais pas de petit-déjeuner pourtant, si? Enfin, cela compte peu, que tu le sois ou pas après tout, ça ne les tuera pas de se passer de toi vingt minutes! Tu connais Angélique?

*Anushka était celle des filles de cuisine sur laquelle il pouvait le plus compter. Elle ne comptait ni les heures, ni les efforts et elle ne se plaignait jamais.*

Saluée par Stepan, elle se raprocha de l'étrange duo.

- Bonjour! Oui, j'ai rencontré Angélique hier soir... J'espère que tu as bien dormi. La première nuit dans un lit qui n'est pas le sien n'est pas la plus facile...

Puis elle se reconcentra sur Stepan.

- Non, je n'étais pas de petit-déjeuner, mais je n'ai pas pu résister au charme de la matinée. J'en ai profité pour aller me promener du côté des écuries. Je m'en voulais un peu de me promener pendant qu'ils travaillaient alors je leur ai proposé mon aide et... bien, on m'a fait une proposition qui ne me laisse pas indiférente.

Elle ne voulait pas que Stepan se sente trahi ou qu'elle lui faisait des infidélités. Elle resterait toujours sous ses ordres quoi qu'il advienne, mais le dire ainsi était un peu présomptueux de sa part.

- En fait, "on", ce n'est pas n'importe qui, c'est le Général en Chef des Armées. Il m'a demandé si je pouvais m'occuper de son cheval... Il faut avouer que les lads auraient pu y préter plus attention. Enfin bref, j'aurais besoin de votre accord pour m'éclipser de temps à autre. Ce n'est en rien un nouvel emploie à plein temps, je reste en cuisine comme avant, seulement, mes escapades risquent de durer un peu plus longtemps. Si vous voulez, ça ne me derrange pas de venir plus tôt le matin et repartir plus tard. Seulement...

Anushka n'était pas vraiment la reine des longs discours, surtout quand ces derniers la mettait en danger. Mais elle faisait assez confiance à Stepan pour prendre la décision la plus juste. S'il estimait qu'il avait besoin d'elle, elle accepterait sans broncher. Elle pourait toujours expliquer à Ermolai que ses visites à Kirill ne seront pas aussi régulières que possible.

*Shmuel se doutait que c'était quelque chose d'important pour Anushka et comme il n'avait jamais à se plaindre de son travail il accepta. Après tout, pourquoi ne pas la laisser libre de ses mouvements puisqu'elle faisait plus que sa part? Il avait appris à ne jamais mettre les gens en cage.*

- Pas de problèmes, je ne vois pas pourquoi je refuserais. En plus, bon, avec Ermolai tu n'auras pas de problèmes. C'est quelqu'un de bien. Et son cheval est particulier. On dit parfois, dans certaines mythologies, que le cheval est une réincarnation d'un guerrier valeureux. Kirill est une bête magnifique, si majestueuse qu'on a envie de croire à ce mythe...

- C'est de loin le plus beau cheval que les écuries hébergent! Si c'est vraiment le cas, alors Kirill devait être un héros: pour avoir autant de puissance, d'exigence et de savoir-vivre... Merci encore, vous ne le regretterez pas! Ca ne devrait pas affecter mon travail en cuisine, mais si jamais c'est le cas, dites le moi et j'y remédierai.

Anushka était terriblement reconnaissante à Stepan. N'importe quel tyran aurait affirmé son emprise sur elle, mais pas lui.

- D'ailleurs, je remontais prendre mon service. Avez-vous des consignes particulières à faire passer en cuisine tant que je suis là?

Avec les jour qu'ils allaient tous avoir, il valait mieux mettre tout le monde sur rails le plus tôt possible.

Angélique avait vu arriver Anushka avec soulagement. Ca avait coupé court aux questions pour le moins dérengeantes de Stepan. Elle écoutait leur conversation en silence, heureuse que le sujet ait dévié sur un cheval plutôt que sur sa maîtresse.Plus elle rencontrait Anushka, plus elle la trouvait adorable. Gentille, vive, très intelligente. Pas le genre des domestiques habituels. Elle était vraiment à part et ça faisait du bien.

- Déjà? Tu ne veux pas nous faire profiter de ta compagnie encore un peu? Il n'y a pas grand chose à préparer pour le moment, dans une heure par contre, il va falloir se presser. Le banquet pour les "prétendantes" doit être prêt pour midi pile... A midi on saura enfin qui sera notre future Tsarin!

*Il se sentait fautif d'utiliser un terme aussi barbare que "prétendantes" mais il ne savait trop comment le dire autrement.*

- Oui... Nous saurons qui remplacera Madame.*dit-il doucement, presque tristement* Nous devrons apprendre de nouvelles habitudes alimentaires. *ajouta-t-il d'un ton beaucoup plus vif et enjoué. Il ne redoutait pas de s'adapter.*

Angélique sourit:

-C'est drôle, quand vous dites "prétendantes", ça me rappelle les prétendants de Pénélope dans L'odyssée. J'espère bien que vous ne réservez pas le même sort à ma maîtresse! Je vous assure qu'elle ne compte pas réquisitionner le pouvoir!

- Si c'est vo...

Anushka se rapella de leur discussion de la veille au soir et se reprit.

- Si c'est toi qui me propose de rester, je ne vais pas me faire prier!

Elle ne put réprimer un frisson d'anticipation à l'idée que le sort serait jeté pour midi. C'était terriblement excitant, comme une grossesse qui venait à terme, tout le monde attendant avec anxiété de savoir si c'était une fille ou un graçon.
Quand Stepan se remit à parler de cuisine, elle remarqua son regard briller. Il était comme un enfant à qui on offrait un nouveau jouet à assembler lui même. Ca allait faire de la nouveauté dans les cuisines, ce n'était pas mal.

Mais quand Angélique parla de l'horrible exécution qui aurait attendue sa maîtresse dans l'Odyssée, elle blêmi. Dieu seul savait ce dont Aleksandr était capable. Elle n'eut pas le coeur de la contredir, ayant peur de ne pas sembler crédible.

- Magnifique, pour une fois, ils se passeront de toi! Quant aux prétendantes, rassurez-vous, elles ne risquent vraiment rien.

*Il voyait bien qu'Anushka avait pensé à Aleksandr, lui même avait peur qu'il revienne d'Ukraine qund il aurait appris la "traîtrise" de son père. Mais avec un peu de chance, ce ne serait pas avant longtemps et Nikolaï aurait repris de la force. Celle qu'il avait toujours eue et qui avait fait de lui un des meilleurs Tsar que la Russie ait connu. Et puis Ermolai, Vlad et Grisha veillaient...*

- En revanche, il y a fort à craindre de la part de certaines comtesses russes... ça risque d'être très drôle... La vodka va sûrement couler à flots et alors il nous faudra ramasser ces dames avec le maximum d'égards possibles... Je plains leurs femmes de chambre le lendemain matin! Racontez nous, Angélique, comment les fêtes se passent-elles chez vous?

*Il aurait voulu lui demander de lui parler du précédent mariage de Lorelei, mais chaque chose en son temps, il n voulait pas la brusquer.*

Angélique sourit:

-Les fêtes chez nous se terminent souvent à rouler sous la table et à chanter des chansons plus ou moins... Disons convenables! Le cidre coule à flot! Mais ce ne sont pas des fêtes paysanes normandes que vous voulez parler, si?

Elle raconta donc:

-A la cour de Versailles, il s'agissait de toujours se tenir convenablement. Être saoul, surtout pour une femme, était extrêmement mal vu! C'était l'un des seuls avantages de cette Cour guindée. Des fêtes sublimes, dans des décors grandisoses et sans scandales! Des feux d'artifices, des pièces de théâtre, des robes somptueuses! Vraiment, les fêtes à Versailles étaient magiques. A Cologne, c'était différent, beaucoup plus austère. Les fêtes étaient rares. Je n'en ai connu qu'une, en fait, le mariage de ma maîtresse...

hj: suspens suspens! je suis cruelle!

- Une seule fête à Cologne? Pourtant tu y es resté plusieurs années... Ce n'était pas un peu ennyeux? Ici, certains mettent plusieurs jours à desaoûler totalement, mais plusieurs années, c'est un peu long... La fête était-elle grandiose ou tellement décevante que personne n'a osé répéter l'incident?

Anushka avait béni le ciel que Stepan camoufle son silence mal à l'aise. Elle espérait ne pas brusquer Angélique, mais elle avait promis à Stepan de trouver les goûts de Lorelei, éviter les plats de son permier mariage pour celui qui l'unirait au Tsar lui semblait un bon commencement, même si le menu était déjà prêt. Stepan préfèrerait se creuser la tête plutôt que de commettre une bourde.

Angélique sourit:

-Je t'assure: une seule fête! Et encore, une fête, je suis gentille! C'était d'un morne! J'ai cru que j'allais mourir sur place! D'ennui! Pas de musique, peu d'invités, une cérémonie religieuse de plusieurs heures... Et un banquet! Ignoble! Une sorte de je ne sais trop quoi qui ressemblait vaguement à une potée. Pommes de terre, oignons, lard fumé, bref, un désastre. Le Comte Von Köln était très très radin! Pas de danse non plus, il était rabat-joie! A peine quelques petits cadeaux bien minables Bref, une catastrophe totale! Et pour tout arranger, il y avait de l'ail dans la "potée" et ma maîtresse a été malade pendant deux jours derrière! Non,la cour de Cologne, ce n'était pas drôle... Plutôt à l'image du comte, sinistre. Les hommes déteignent sur les lieux...

Bingo! Et un élément suplémentaire pour Stepan.

- Ma pauvre chérie! Tu vas voir, on ne s'enuie vraiment pas ici. Ce serait plutôt fêtes à tour de bras et beaucoup de travail pour Stepan et les cuisines. des couleur, des danses, des chants, parfois même des accrobates. Quand la garde d'élite est là, ils se battent en duel! Fantastique! Enfin, pas de duel à mort, juste une démonstration d'habileté, mais c'est extraordinaire. Il y a également des démonstrations de prouesses de la cavalerie... un petit bijoux.

Angélique avait hâte de voir tout cela. Elle qui n'était habituée qu'aux fêtes de village et aux fêtes grises comme la cendre!

-J'avoue que j'ai du mal à imaginer! La Cour de Russie est fabuleuse. Moins guindée que celle de Versailles mais avec tous les avantages! Et dire qu'elle est inconnue en Europe! Tu me diras, c'est peut -être aussi un garant de bonheur! Être trop connu parmi les puissants, ça peut faire pas mal de tort... Et ça oblige à une diplomatie bien souvent peine de compromis dchirants... Au moins, la Russie ne doit rien à personne!

- Mon Dieu, c'était donc si terrible? Ne vous en faites pas, ici votre maitresse sera très bien traitée! La Cour russe sait s'amuser. Elle est effectivement peu connue, c'est pourquoi nous pouvons nous permettre certaines choses. Et le Tsar n'est pas un homme radin, au contraire. Je pense qu'elle se plaira ici, notre future Tsarin.

*Shmuel était reconnaissant à Anushka. Ses questions avaient un mérite immense, elles glanaient des informations vitales. La potée était d'emblée rayée de la liste des possibilités.*

-Oui, je crois que même si elle ne le sait pas encore, ici, elle sera heureuse. Plus heureuse qu'à Cologne où tout lui rappelle l'enfer...

-Je crois aussi que c'est comme ça qu'il faut le voir: comme un renouveau, une page blanche à écrire.