Retour au Palais

D'un pas hésitant, Irina pénétra dans le petit salon de la Tsarin. Elle avait vagabondé au hasard des couloirs, l'esprit trop occupé par tout ce qui s'était passé et se passait dernièrement. Il avait fallu qu'elle s'absente pour enterrer sa mère, morte d'une pneumonie mal soignée, et elle était bien évidemment restée quelques temps, le temps que son frère fasse le nécessaire. Et la voilà à peine rentrée que les Espagnols s'en mêlaient. Elle savait que nombre Dames de la coure se moquaient des Espagnols et de leurs manigances comme de leur première chemise, mais cela lui donnait du souci.

Elle se rappropria des yeux, petit à petit, les murs, les meubles et les bibelots de ce petit salon ou aurait dû trôner Lorelei quelques dizaines d'années. Il était des choses qui vous marquait à vie. Pensivement, elle rajusta quelques lys dans un grand vase face à la fenêtre.

Mina entra dans le petit salon de la tsarin dont la porte était entrouverte. Elle était curieuse, elle s'était toujours demandé ce qu'il y avait, derrière cette porte close. Elle vit, pour son plus grand bonheur, Irina, qu'elle n'avait pas vue depuis des lustres.

-Irina? Depuis quand es-tu de retour?

Elle lui dédia un grand sourire et ajouta:

-Tu as manqué quantité de choses très amusantes! Notamment une chute de cheval plus que mémorable!

*Il avait entendu une rumeur. Celle du retour d'Irina. Il avait donc suivi les voix et avait atterri dans le petit salon. Il ne savait pas trop si les gens avaient dit vrai, et il allait le découvrir maintenant. Quand il entra, il vit tout d'abord Mina d'Omsk, puis son regard se posa sur Irina et un sourire naquit sur ses lèvres.*

Irina se retourna brusquement pour tomber face à face avec Mina et un sourire détendu et soulagé reprit place sur son visage. Trouver un visage ami, et en particulier celui de Mina, était l'une des meilleurs chose qui pouvaient lui arriver aujourd'hui. Elle se rapprocha de la Duchesse d'Omsk et la prit dans ses bras.

- Mina ! Cela fait tellement plaisir de te revoir. Je rentre à peine. J'ai pris le temps de panser Kuolema et de me rafraichir dans mes appartements, c'est tout. Mais s'il-te-plait, raconte moi ce que j'ai manqué. La chute de cheval, les espagnols, et à propos de toi aussi... Je crois que j'ai pas mal de choses à rattraper.

Demander comment Artur gérait la situation était peut-être un brin déplacé, tout comme comment il se portait. Mais cela n'empêchait que cela la taraudait aussi. Mais une seule chose à la fois. Son regard dériva dans l'encadrement de la porte. Artur... Elle hésita quelques secondes, puis hocha sobrement de la tête en sa direction.

Mina suivit le regard d'Irina: Artur... Elle se demanda si elle devait les laisser, tous les deux. Après tout, ces deux-là avaient beaucoup de choses à se dire, et sûrement pas en présence d'un tiers. Elle décida néanmoins de rester un peu, et de partir, si jamais elle voyait qu'elle dérangeait:

- La comtesse de Bursk, ou Brusk, je ne sais jamais! Un vol plané magnifique! Je revevais d'une ballade à cheval et j'ai décidé de me faire un dernier galop. Là, je suis tombée sur cette comtesse, énorme!, sur son frêle pur sang arabe. Elle a voulu me faire croire qu'elle était à l'aise au galop sur un tel animal et son cheval s'est emballé. Il a fini par la jeter à terre avant de disparaitre derrière le palais. C'est Monsieur Valavski qui l'a relevée, rouge de honte, et qui est allé rechercher son cheval. Elle avait des froufrous dans tous les sens et tout le monde l'a vue, jambes en l'air, dans le parc! J'étais hilare!

Irina ne put, ni ne voulut retenir son amusement. Elle ne souvenait pas d'avoir déjà entendu parler de cette comptesse, mais elle se doutait de quel genre de femme il s'agissait. Elles pullulaient à travers tout le palais.

- Ma parole ! Et on laisse encore des poules écervelées monter de vrais chevaux? Remarque, si c'est pour que cela se finisse ainsi, tant que l'animal n'en pâtit pas, c'est aussi bien. Je ne sais pas pour toi, mais moi je n'aurais pas eu la grandeur d'âme de Monsieur Valavski. On aurait pu croire que la guerre aurait incité tout ce petit monde à reconsidérer sa façon de se comporter. Mais non. C'est typique. Alors que la majorité tire la langue pour se relever, il y en a encore qui réussit à faire honte à la cour...

Puis réalisant qu'elle n'était pas loin de se mettre à râler à peine rentrée, elle sourit de plus belle.

- Enfin, heureusement que cela porte plus à rire qu'à rougir... enfin, pour nous... parce qu'en effet, elle n'a pas dû apprécier.

-C'est vrai qu'en ce moment, il nous faudrait un peu plus d'élégance, de dignité pour relever le niveau. Et elle, elle monte sur un cheval deux fois moins large qu'elle et se paye le luxe d'une chute aussi ridicule que mémorable! Et heureusement, effectivement, que Monsieur Valavski était là, sinon, je crois que tout le monde l'aurait regardé se débattre sans bouger! Je t'assure qu'avec sa chute, elle va faire l'objet des potins de la Cour pour au moins deux semaines! Et je ne suis pas sûre que le cheval n'ait rien. Ce doit être déprimant, pour un tel animal, plein de fougue, de se contenter d'un pas et d'un trot mal assuré. Parce que vue sa chute, je peux t'assurer qu'elle ne doit jamais le faire galoper!

Mina sourit:

-Et toi alors, ton voyage? Raconte!

Irina haussa les épaules.

- Rien de bien intéressant dans la raison de mon voyage, si tu veux mon avis. J'ai reçu une missive de mon frère m'avertissant que notre mère était assez malade, et qu'il était peut-être temps que je fasse la paix avec elle. Quand je suis arrivée, c'était déjà fini. Mais sortir du palais m'a permis de voir comment on vivait les choses dans les campagne. C'est l'avantage de passer pour une folle en chevauchant seule à travers la Russie. J'ai aidé mon frère quelques jours avec la gestion de ses terres, et puis je suis rentrée.

Pas de retrouvailles larmoyantes avec sa génitrice, pas de chaude réconciliation. Juste une lettre laissée par la mourante. Une lettre qui servirait d'adieu, une lettre dans laquelle elle lui livrait le fond de sa pensée.

- Mais si tu veux savoir ce que je pense, il fait bon rentrer ici !

Mina n'insista pas, elle savait que les histoires de famille, c'est souvent bien compliqué et toujours très douloureux. Elle ne voulait pas lui rappeler de mauvais souvenirs. Elle sourit à l'évocation de la folle qui chevauchait à travers la Russie:

- Une fois, je me souviens que la comtesse dont je te parlais me demandait, mielleuse, si ça ne dérangeait pas mon mari que je me conduise en garçon manqué. C'était sûrement sa façon à elle de me dire que les pantalons pour monter à cheval, ça me donnait l'air d'une folle. Elle, elle a dit "originale" mais dans sa bouche, ça voulait dire la même chose! Je crois que sa chute de l'autre jour lui aura au moins démontré l'utilité du pantalon: personne n'aurait vu ses dessous si elle en avait eu un!

Mina sourit. Elle détestait ces femmes "bien pensantes" qui croyaient savoir tout mieux que tout le monde, alors qu'elles étaient ridicules et ne s'en apercevaient même pas!

-D'ailleurs, en parlant de chevaucher, il faudrait que nous montions ensemble, prochainement! Nos sorties sont toujours tellement passionnantes! Rien à voir avec le galop catastrophique de la comtesse! J'ai découvert un endroit particulièrement agréable dans les bois.

A cette proposition, Irina se sentit revivre.

- Une chevauchée avec toi? Ca me ferait vraiment le plus grand bien. Kuolema n'aime pas vraiment que je la néglige trop longtemps, et il est vrai que lorsque l'on monte ensemble, au moins nous ne sommes pas ralenties par... disons des cavalières moins expérimentées à la conversation plus limité.

C'était cela qu'elle appréciait chez Mina. Non contente d'être une cavalière émérite, elle était également très indépendante d'esprit et avait une culture qui ferait pâlir beaucoup d'hommes qui se disaient "cultivés" et qui reprochaient aux femmes le simple fait de savoir lire.

- Remarque, celles et ceux qui usent avec largesse de l'adjectif "original" devraient commencer par balayer devant leur porte. Ils n'ont vraiment que cela à faire de jaser sur nos allures de "garçon manqué". S'ils savaient à quel point l'on s'en moque... Remarque, tu as dû en entendre plus que moi avec tes cheveux courts. Je n'a jamais eu le coeur de couper les miens, mais cela te va si bien! Et j'y pense, puisque que tu parles de ton mari. Comment va-t-il?

Mina hocha la tête : oui, les gens qui parlaient beaucoup d'originalité, en général, étaient d'une platitude plus que déséspérante! Et d'une médisance sans nom!

-C'est sûr que je déteste ces femmes, et ces hommes aussi, qui s'imposent durant un moment agréable et nous assassinent de banalités. Et j'avoue que j'en ai entendu pas mal sur ma coupe. Mais ça ne m'atteind pas. Ma famille m'a toujours encouragée à être libre, et Kassian aime bien comme ça. Tu me diras, il aimerait bien long aussi. Mais c'est un tout, il sait que je n'ai pas un caractère à mettre des robes à panier et à dire oui en filant le soir à la veillée.

Elle sourit en se disant qu'elle avait beaucoup de chance que son mari ne soit pas comme les autres, à décider pour les femmes ce qu'elles aiment ou pas, ce qu'elles sont capables de faire ou pas.

-Kassian se porte comme un charme. Tu sais qu'il est heureux de vivre, en général, si on lui laisse ses livres et qu'il a le temps de se plonger dans son jardin secret. Il aime aussi se promener à cheval, si tu veux il pourra venir avec nous!