requête urgente

*Artur savait qu'il aurait du faire mandater Ermolaï par un page, mais il répugnait déjà suffisemment à déranger son ministre à cette heure là sans en plus l'obliger à venir jusqu'à son bureau. Tsar ou pas, il lui semblait juste que ce soit lui qui se déplace. Il lui fallait parler politique avec Ermolaï. Il frappa trois coups francs.*

Ermolai était à côté de la porte, il venait à peine de rentrer. Il ouvrit donc pour apercevoir le Tsar:

-Entrez, entrez, je vous en prie Artur.

Il lui désigna un siège:

-Qu'est-ce qui vous amène? Vous auriez du me faire convoquer plutôt que de vous déplacer!

*Artur haussa les épaules. Il trouvait très impoli de faire déplacer quelqu'un alors que c'était lui qui avait une requête à adresser.*

- Ne vous en inquiétez pas, j'avais juste honte de vous faire déranger alors que votre chambre est à peine à 100 pas de la mienne! Je viens vous parler politique. Mais avant tout je voudrais savoir si vous avez des nouvelles du retour de mon frère, le prince Grigoryi?

-Oui, j'ai de bonnes nouvelles: il est en route, mais il vient de France. Je pense que dans quelques jours, il sera à la Cour. Il est sous bonne garde, n'ayez aucune crainte.

Ermolai se redressa dans son siège:

-Vous vouliez discuter politique? De quoi s'agit-il?

Il était très au fait de la politique de l'empire, en tant que premier ministre, il le devait.

- Oui, je voulais te parler. Je voudrais que tu t'occupes de l'éducation politique de Grigoryi. Je sais que tu n'as pas beaucoup de temps mais tu m'avais instruit et tu avais instruit également Aleksandr, alors j'aimerais que tu le fasses pour Grigoryi. Uniquement en politique, je lui trouverai un autre précepteur pour le reste. En fait comme tu t'en doutes je ne compte pas rester Tsar jusqu'à ma mort. J'assurerai la régence jusqu'à ce que tu estimes Grigoryi prêt à assumer ce rôle. La mort de mon père et mon devoir envers lui ne me permet pas de me dérober aujourd'hui, ça reviendrait à détruire l'empire, alors je garderai les pouvoirs politiques pour le temps qu'il faudra. Cependant j'aimerais que tu prennes en charge plus de choses que tu ne le faisais lors du règne de mon père. Tu es plus au fait de beaucoup de choses. Je garde les relations d'ambassadeur, celles que j'étais destiné à avoir mais pour le reste je te laisse libre de prendre des décisions. Tu me mettras aux faits de tout mais je te fais confiance. Qu'en dis-tu?

*Artur avait conscience de l'importance de sa requête mais il espérait qu'Ermolai serait d'accord. Il l'espérait de tout coeur.*

Ermolai avait toujours su qu'Artur ne voulait pas être tsar. Et il l'avait regretté bien souvent. Il s'y connaissait en politique, en diplomatie et il pouvait même prétendre être le meilleur général de l'armée russe et il savait qu'il ne se trompait pas au sujet d'Artur: ce serait le meilleur Tsar de l'histoire de la Russie. Finalement, le sort l'avait forcé à prendre les commandes et c'était un vrai cadeau fait à l'Empire: Grigoryi hériterait d'un royaume de rêve, prospère et apaisé.

-Je comprends Artur, et j'accepte avec joie l'honneur que tu me fais. J'instruirai le futur Tsar, tu as ma parole. Et si tu veux me confier d'autres taches,je suis prêt aussi.

Ermolai avait juré de servir la Russie, mais il avait toujours plus suivi les hommes que les nations. Artur était un ami, il l'aurait suivi jusqu'au bout du monde et lui était totalement dévoué. Il le servirait comme il avait servi Nikolai, un ami lui aussi avec fougue, courage et honneur. Il y avait néanmoins une chose dont il devait parler à Artur:

-J'ai reçu un pli de l'ambassadeur d'Autriche. Voilà, l'Empereur voudrait que sa fille vienne étudier en Russie. Ce qui se comprend parfaitement, cela va sans dire. Mais elle est jeune, il faudrait lui trouver une tutrice. Je pensais qu'elle pourait étudier avec Grigoryi, ça lui ferait de la compagnie. Hormis pour l'éducation politique, bien entendu.

- C'est sans aucun problème que je réponds favorablement à cette demande. D'ailleurs la préceptrice est toute trouvée, ce sera Gabriele of Newhampton. C'est une amie de longue date, très instruite qui sera parfaite dans cette tache. Sais-tu que Boleslav est revenu lui aussi? Avec un curieux enfant très pâle. A lui aussi il faut une éducation, et je pense que Boleslav va la lui donner, mais il pourra suivre quelques cours avec Gabriele également, ce qui animera un peu les journées de Grigoryi. C'est vrai qu'il va rentrer dans un empire où il sera le plus jeune, ça ne sera pas facile pour lui, beaucoup de familles établies à la Cour étant parties...

Ermolai soupira:

-C'est sûr... Je n'aimerais pas être à sa place... Mais nous allons faire tout notre possible pour que tout se remette en place dans les meilleures conditions. Je trouve d'ailleur que la Cour est moins choquée que ce que je croyais. C'est une très bonne chose. La vie repart toujours, malgré tout.

Oui,toujours. Mais Anna qui ne revenait pas... Cela hantait Ermolai, ele aurait du être là depuis longtemps à présent. Et si... Et si elle était... Morte? Non! Il repoussa l'idée avec violence: elle ne pouvait pas être morte, il l'aurait su...

- Pas si choqués que cela, c'est vrai, mais il faut que la vie reprenne de toute façon. Crois moi, si j'avais le luxe d'être profondément choqué, je le serais. Mais toi, comme moi, comme nous tous, nous devons malgré tout vivre. Nous avons des responsabilités qui nous interdisent la panique et la dépression. L'absence d'Irina est celle que j'arrive le moins à faire taire. Elle est là comme une plaie brûlante qui reste éveillée toute la journée et toute la nuit...

Irina, une grande dame, l'élégance, le raffinement, l'indépendance même... Et Anna... Mais Artur avait raison, ils ne pouvaient se payer le luxe de l'abattement.

-Bien sûr, lorsque le royaume est affaibli, il compte sur son tsar pour lui redonner force et courage. Nous ne pouvons nous permettre de paniquer, ce serait la ruine assurée. Les choses finiront bien par se remettre d'elles mêmes. Et le temps passant, l'oubli guérira le reste des plaies. Mais dans cette mauvaise passe, il faut surtout maintenir le navire à flots. J'en suis conscient. Et Irina ne tardera pas à revenir, j'en suis sûr.

Enfin, si elle est vivante... pensa Ermolai.