I should not walk alone

Roksana venait de terminer sa partie de jambe en l'air avec le patron et remontait de la cave lorsqu'elle vit l'homme généreux qu'elle avait rencontré le matin même. Elle s'avança vers lui et la jeune femme avec laquelle il était assis. Son loup et son oiseau la suivaient.

-Bonjour, Monsieur, et bonjour belle inconnue! Puis-je profiter de votre table? Je suis déssechée, j'ai bien besoin d'un peu d'alcool!

Elle leur sourit: oui, la récréation l'avait épuisée aujourd'hui. Il était en forme, c'était le moins que l'on puisse dire. En même temps, il avait du faire ceinture longtemps, ce coup-ci parce qu'elle n'avait pas eu beaucoup de temps à lui consacrer, ce mois-ci... Elle adorait son libertinage, mais le boulot d'abord! Et elle avait eu pas mal de spectacles à faire pour des particuliers, ces dernières semaines.

-Piotr, une bière s'il te plait!

Le Piotr en question lui fit un clin d'oeil et lui apporta sa chope ambrée dans le deux secondes. Ainsi que de l'eau pour Lev et Tigui qui buvaient tous deux dans la même écuelle. Tigui, désaltéré, se mit même à nager dans la coupelle pendant que le loup buvait encore. Il n'avait pas peurde se faire croquer, ce petit aventurier. Et il avait raison: Lev ne lui aurait mangé une plume pour rien au monde. Lorsqu'ils eurent fini, Lev se coucha par terre et Tigui sur sa tête. La vie était belle.

Roksana éclata de rire:

-Oui, je suis épuisée! Mais qui sait, si vous restez assez longtemps... Une petite bière et c'est reparti! J'ai encore une petite surprise en réserve! Attendez juste encore une bonne demi heure et vous assisterez à un spectacle auquel vous n'avez sûrement jamais assisté! Mais il faut qu'il fasse nuit, pour cela!

Elle sourit à la jeune femme assise à côté d'ele: elle avait l'air désespérée:

-Restez aussi, vous verrez, ça vous mettra du beaume au coeur!

-Ca me fait plaisir! Vous ne serez pas déçu, vous verrez!

Elle but une longue gorgée de bière.

-Alors, Vlad, je n'ai jamais eu l'occasion de vous le demander: que faites-vous, dans la vie? Je peux peut-être deviner, vous me direz... Vous portez une certaine noblesse, en vous, il me semble, mais une noblesse très particulière, non empreinte de l'habituelle délicatesse... Vous êtes étonnant, c'est le mot, je crois...

Elle demanda également à Anna qui elle était et ce qu'elle faisait, n'aimant pas parler avec des gens dont elle ignorait tout.

-Et vous, mdemoiselle? Quel est votre nom? Et que faites vous de vos journées?

Elle voulait la dérider un peu: ce devait être une personne tout à fait sympathique, lorsqu'on avait réussi à percer la carapace. Et Roksana était experte dans ce domaine. Mais après tout, n'était-ce pas aussi son métier, de mettre les gens à l'aise?

Roksana sourit:

-Eh bien Anna, je trinque à toi!

Elle leva sa chope et but une grande gorgée.

-Vous êtes militaire, alors! Je savais bien qu'il y avait quelque chose de sympathique et naturel, en vous. Que vous n'étiez pas guindé! Regardez, la nuit est entièrement tombée!

Elle se leva et le patron annonça:

-Sortez tous pour le spectacle!

Roksana sortit, deux bouts de bois enveloppés de tissu dans les mains. Elle se mit au milieu de la place et enflamma le tissu des bouts de bois. Elle commença la danse du feu, lentement, sensuellement d'abord, comme un tango. Chaque mouvement était décortiqué, saisissable. Elle ondulait au rythme des flammes. Au fur et à mesure, elle accélérait le rythme, on ne voyait plus que les flammes qui tournaient, hypnotisantes.

Roksana s'immobilisa soudain: la danse du feu était finie pour ce soir. Elle salua ses spectateurs qui appladissaient à tout rompre. Oui, la danse du feu faisait toujours ce effet là. En fait, c'était ni plus ni moins de la danse, beaucoup moins dur que des sauts périlleux par exemple, avec deux bâtons dans les mains, mais l'effet était surprenant et presque magique, les flammes semblaient entourer le danseur et lui donnaient beauté divine et mystère. L'aubergiste cria:

-C'était la danse du feu de Roksana! Soyez généreux!

Roksana lui fit un sourire et lui un clin d'oeil. Bien que bedonnant, c'était un homme plein de charme et s'il n'y avait pas eu tant de monde autour d'eux, elle se serait bien jetée sur lui... Mais la décence la plus élémentaire l'interdisait. Elle n'avait jamais été pudique, mais elle savait où étaient les limites de la société, et elle s'efforçait de les repsecter, pour ne pas choquer plus que nécessaire. Elle salua de nouveau la foule et s'approcha de Vlad:

-Alors, déçu d'être resté? Au fait, où est votre amie?

Elle jeta un coup d'oeil dans le bar, plus personne.

-Elle est partie?

Roksana eut un large sourire: elle n'était pas non plus partisane du vouvouiement. Mais elle l'avait conservé par respect pour son bienfaiteur. Car rares étaient les gens qu'elle respectait vraiment.

-Pas de problème, on se tutoie! Alors comme ça elle est au palais! C'est de cotyer les nobles toute la journée qui rend si timide!? Je ne parle pas pour toi, toi tu es sympa, mais pour les sombres idiots que l'on en voit sortir, parfois. Des gens sans éducation, sans notion de politesse, sans dignité qui se comportent comme les pires goujats. Et c'est dans ces moments là que je me dis que je suis en heureuse de vivre en dehors de tout ça! Ah, c'est vrai, le gîte et le couvert sont assurés, mais à quel prix! Au prix de ta liberté, de ta dignité, au prix de ton âme, en fait, sans vouloir paraitre trop grandiloquente! Tu t'asservis pour un lit et du pain. Je préfère vivre à Saint Pétersbourg.

Soudain, Roksana plissa les yeux:

-Eh, mais ce n'est pas Anna, là-bas? Oh la la , elle n'a pas l'air bien fringante! Elleva finir par s'écrouler par terre! Viens!

Roksana se précipita vers Anna, pour la soutenir. Elle la prit par le bras:

-Eh, Anna, Anna, tu m'entends?