Une petite balade à cheval ..

Ermolai entra dans les écuries pour aller chercher Kirill. Il avait beaucoup travaillé les figures de dressage ces derniers temps et il avait bien mérité une petite ballade qui n'aurait rien rapport, de près ou de loin, avec la visite de l'ambassadeur. Ermolai sentait que Kirill bouillonnait intérieurement: il avait envie d'un galop dans la campagne toutes brides lâchées pour expulser le trop plein d'énergie qu'il avait emmagasinée.
Tout à ses pensées, Ermolai n'avait pas remarqué que la porte de l'écurie était ouverte. Il entra et aperçut une jeunne femme d'une élégance rafinée, qu'il n'avait jamais vue. Il s'approcha et se présenta:

-Bonjour, Madame. Ermolai Valavski, pour vous servir. Je ne vous avais encore jamais vue à la Cour.

Puis , en fin connaisseurs de chevaux, Ermolai se pencha sur le bel animal dont la jeune femme s'occupait:

-Un frison magnifique... Il pourrait être le frère du mien.

Il désigna le box de Kirill, qui commençait déjà à s'agiter.

-Vous partiez en promenade? Est-ce que cela vous dirait que nous nous promenions ensemble? Kirill a besoin de se dépenser, et nous pourrions faire connaissance.

Il lui sourit, galamment, comme à son habitude.

Ermolai s'inclina à son tour:

-Alors vous aimez voyager... Il faudra que vous me racontiez! Je m'empresse de panser Kirill et je reviens. Nous aurons tout le loisir de discuter durant la ballade.

Ermolai se hâta vers Kirill. Il attendait Ermolai tous les jours, c'était le seul qui pouvait s'en approcher et le toucher. Plusieurs palefreniers s'y étaient rompus les os. Pas Anushka, mais c'était la seule. Il passa un coup de bouchon à Kirill, démêla sa crinière et sa queue puis le harnacha. Il se mit en selle et revint vers Ludmila.
Il attendit qu'elle se mette en selle également. Avoir une compagnie si agréable pour une promenade avec Kirill, ça le mettait de très joyeuse humeur. Elle avait fière allure, cette comtesse. Pas comme celle qu'il avait du relever après une chute de cheval. Elle évoluait avec grace et aisance et il ne doutait pas qu'elle soit une excellente cavalière. Ni qu'elle ait beaucoup de choses à raconter à propos de ses voyages. Lui même avait pas mal voyagé, mais soit pour servir d'escorte, soit pour faire la guerre. Alors forcément, c'était moins amusant...

Ermolai sourit et répondit:

-Oui, allons-y!

Kirill avait une furieuse envie de se défouler les sabots, et il avança avant même qu'Ermolai ne lui en donne l'ordre. C'était une belle journée, à peine fraiche qui s'étalait devant eux, jusqu'à l'horizon. Il se tourna vers Ludmila et demanda:

-Alors, parlez-moi de vos voyages, je veux tout savoir! Où êtes-vous allée, qu'avez-vous vu de passionnant?

Ermolai était un incorrigible nomade qui ne s'était arrêté que parce qu'il avait trouvé son chef et maître, le tsar. Mais c'était parfois encore difficile, pour lui, de ne pas rêver à de grands horizons, en solitaire, comme le grand loup blanc qu'il était. On pouvait aprivoiser ce loup, mais jamais le domestiquer. C'était toute la contradiction du caractère d'Ermolai. Un sauvage sédentaire.

Ermolai sourit:

-Alors votre monture vient de Transsylvanie... Et j'ai affaire à une passionnée de grands espaces! Tant de beaux et grands pays, des endroits que la plupart des hommes ne connaissent que de nom. Mais ce qui est passionnant dans vos voyages, c'est que vous recherchez le mystère! Le Gévaudant, la Transsylvanie... Et même la Russie! Certaines légendes de Sibérie valent celles du Gévaudant je crois. Connaissez-vous la légende du grand loup blanc?

Ermolai observait Ludmila avec beaucoup d'attention: la jeune femme avait effectivement l'air d'avoir beaucoup de caractère et de vivacité. De toute évidence, ce n'était pas une femme de salons.

Ermolai sourit: touché coulé:

-Vous lisez en moi comme dans un livre ouvert! Je vous la raconte comme je la connais, il y a plusieurs versions, bien entendu!

Il prit un ton de conteur, mystérieux et commença son histoire:

-Il était une fois un grand loup blanc apparut un soir d'été, libre comme l'air. Il avait l'air d'observer les choses, les étendues vastes de Sibérie. Et puis l'hiver suivant, il a commencé à tuer. Certains pensaient qu'il s'agissait d'un fantôme, il ne laissait jamais d'autres traces sur la neige que le sang de ses victimes dans la profondeur des bois. Des victimes toujours isolées, perdues. Il les égorgeait avec sa mâchoire puissante, sans les dévorer, et les laissait sur le sol, rouges sur leur lit de glace. Il faisait régner la terreur dans les terres de Russie, tuant chaque pleine lune d'autres victimes et disparaissant dans un souffle d'air. Chaque fois que les villageois entendaient hurler dans la nuit, ils savaient ce qu'ils allaient trouver le matin. Ils ont organisé des battues, tué des loups par centaines. Mais rien n'y a fait. Le grand loup blanc sévissait chaque nuit de pleine lune, disparaissant dans la brume. Les années, passaient, et les villageois vivaient dans la terreur, une fois par mois, et même s'ils ne sortaient plus, les soirs de pleine lune, ils retrouvaient toujours des cadavres égorgés le matin. Jusqu'au jour où, après une nuit de pleine lune, la mère de la petite Marie, fillette de Sibérie, ne retrouva plus sa fille unique. On eut beau la chercher, on ne retrouva jamais son corps. Le fou du village, que l'on ne crut pas, assura qu'il avait vu passer le loup avec la petite fille, disparaissant avec elle dans les brumes. Mais la pleine lune suivante, le loup ne reparut pas, ni la pleine lune suivante. Les mois, les années, les décénies et les siècles passèrent. On ne revit plus jamais ni la fillette ni le loup. Et le soir, à la veillée, les vieilles grand-mères se souviennent et racontent la légende du grand loup blanc, ce meurtrier sauvage qui avait trouvé le repos dans l'amitié d'une fillette.

Ermolai reprit sa voix habituelle:

-Et voilà, la légende du grand loup blanc.

Il sourit à Ludmila:

-Alors, cette légende, comment la trouvez-vous? Bien entendu, c'est ma grand mère qui me l'a racontée, un soir, à la veillée.

hj: cette légende est totalement inventée, et est inspirée de la chanson de Florent Vollant, Miam Maikan (loup blanc).
https://www.youtube.com/watch?v=EZHwHyuSn5c

Ermolai sourit. Oui, les légendes se ressemblaient, c'était certain. Et celle-ci, typiquement sibérienne, ressemblait à toutes celles qui parlaient d'animaux, qu'il s'agisse de loup, d'ours, de tigres, de crocodiles ou d'autres encore. Cependant, il ne connaissait que vaguement la légende de la bête du Gévaudan, et il se promit de demander des détails à Ludmila, une fois le galop terminé. Mais pour le moment, lui aussi avait des fourmi dans les pieds.

-Oui, tout à fait! En avant pour le galop!

Kirill allongea l'allure lorsqu'il entendit Ermolai prononcer le mot qu'il attendait. Une pression des mollets et Kirill partit au trot, une autre, et il partit au galop. Un long galop, rapide mais contrôlé. Il était heureux de pouvoir partager ce moment de bonheur avec quelqu'un d'autre. Lui aussi en avait assez des leçons de dressage, il avait besoin de se défouler. Et c'est toujours mieux à deux.
Il se fit la réflexion qu'ils devaient avoir l'air bien assortis avec leurs deux frisons au galop.

Megara avait sorti Alexandro depuis deux heures et sortait tout juste d'un galop effrené qui avait fait retrouver à son Akhal téké adoré ses origines de cheval du désert. Elle chevauchait avec Saveli, son mari, qui montait lui aussi un Akhal Téké: Désert. Les deux étalons, amis, avaient l'air de s'amuser comme des poulains. Il fallait dire qu'ils avaient tout pour être heureux: un ami cheval stable, des propriétaires qui faisaient tout pour eux, nourriture royale, grands espaces... Assez étrange néanmoins de voir ces chevaux à sang chaud voler au dessus des paysages froids de Russie, eux qui étaient tant habitués aux espaces désertiques. Megara savait qu'il faudrait qu'ils fassent très attention à eux. En hiver, il leur faudrait une couverture de fourrure pour qu'ils ne tombent pas malades. Mais elle n'aurait jamais laissé son cheval en Italie, c'était impensable pour elle, et Saveli non plus. Elle sourit à son mari:

-Tu avais raison, la Russie c'est un pays merveilleux.

Il lui sourit en retour: il adorait son petit accent italien, lorsqu'elle parlait français, russe ou allemand.
Elle regarda autour d'elle, des sapins, des restes de neige de l'hiver, du vert et du blanc à perte de vue.

Ils allaient maintenant au pas, tranquillement, et aperçurent Ermolai et une jeune femme qu'ils ne connaissaient pas.

-Monsieur le Ministre, Madame, enchantée!

Megara sourit aux deux cavaliers, superbes sur leur énormes montures. Ils étaient au moins deux fois plus gros que les leurs. Saveli salua Ermolai, qu'il connaissait bien:

-Ermolai, quel étalon!

Megara se tourna vers l'inconnu blond qui venait d'arriver, au pas sur un percheron magnifique. Elle se sentait toute petite avec son Akhal Téké. Les deux animaux étaient aux antipodes: le Akhal Téké est un cheval à tempérament dit chaud, un cheval nerveux et rapide, le percheron est un cheval à tempérament dit froid, un cheval puissant et calme.

-Bonjour à vous. Je me présente: Megara. Enchantée.

Saveli sourit à l'arrivant et dit à son tour:

-Et moi Saveli. A qui avons-nous l'honneur?