Petite promenade vespérale

Gretchen aimait beaucoup la nouvelle liberté dont elle jouissait depuis qu'elle était à la Cour de Russie. On ne surveillait pas ses moindres faits et geste, on la laissait en paix. Du moment qu'elle ne sortait pas seule du château, elle pouvait aller où bon lui semblait. Bien entendu, le matin, elle devait étudier, mais l'après-midi était à sa disposition: pour monter à cheval, s'occuper de Bonbon, ou se promener dans les jardins. Elle adorait particulièrement s'y promener à la tombée du jour, lorsque tout prend des couleurs de rêve. Tout est doux, le soir, et tout semble possible.
Bonbon était sur ses talons, reniflant les fleurs, galopant joyeusement, s'arêtant devant un brin d'herbe, repartant et se frottant le groin au bas de la jupe de sa petite maîtresse. Gretchen adorait son cochon. Elle l'avait sauvé de la noyade, quelques mois auparavant et depuis, ils étaient inséparables. On avait bien essayé de la décourager de garder un animal de ferme, destiné à être mangé, et on lui avait proposé des carlins, des épagneuls papillons de toutes les couleurs, des chats, des oiseaux... Mais elle était restée intraitable: elle ne voulait que son cochon, cette petite chose rose qui luttait contre le courant de la rivière, désespérément. Et il avait fallu s'y plier. Gretchen savait ce qu'elle voulait, et si d'ordinaire elle était assez douce et calme, elle avait aussi son caractère.

*Artur se promenait. Il avait ressenti le besoin de prendre l'air. Cet ambassadeur qui arrivait tombait plutôt mal. Il avait l'impression d'être jaugé. Le roi d'Espagne lui envoyait quelqu'un pour juger de la situation politique de la Russie et il n'aimait pas ça du tout. Il y voyait deux possibilités: soit le roi d'Espagne espérait faire main basse sur la Russie soit il voulait jauger le nouveau tsar. Il ne serait pas daçu du voyage, surtout pas, ce n'était pas quelque chose qu'il pouvait se permettre, il savait qu'il était jugé trop jeune pour gouverner un tel empire... Il savait que tout le monde pensait qu'il n'était pas à la hauteur. A leur place, il aurait sans doute pensé la même chose, évidemment. Il avait peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas savoir être tsar. Il n'avait pas le temps pour ce deuil qu'il lui fallait faire, il savait néammoins qu'il y aurait l'avant et l'après. Avant la guerre, avant la mort de son père, après les tueries, après la terreur... Son regard s'arrêta tout à coup sur Gretchen. Gretchen et Bonbon. Il se sentit bien mieux tout à coup. Cette petite fille, là, n'avait pas l'air effrayée. Il s'appprocha, comme attiré par cette insoucience qui lui manquait tant.*

- Bonjour, Gretchen!

Gretchen sourit lorsqu'elle aperçut Artur. Elle l'aimait bien, et contrairement à beaucoup de courtisans, elle était persuadée qu'il serait un bon tsar. Ce n'était pas parce qu'il était jeune qu'il était incapable de régner. Après tout, Nikolei lui aussi avait commencé son règne jeune. Et personne n'avait rien dit. Les circonstances étaient différentes, oui, bien entendu. Même si on avait essayé de la protéger et de ne rien lui dire, elle savait bien que ces derniers mois avaient été très mouvementés. Meurtres, attentats, ... Mais du haut des maigres années, elle était persuadée que tout irait bien, à présent, et que le régne d'Artur serait au moins aussi long et paisible que celui de son père.
Elle sourit:

-Bonjour. Vous venez vous promener avec moi?

Elle l'invitait à la suivre sur son chemin, qui devait la mener jusqu'à un très joli jardin secret qu'elle avait découvert récemment. C'était Bonbon qui lui avait montré l'entrée. Ce qu'elle croyait être un mur n'était en fait qu'une palissade qui cachait un jardin qui avait du être magnifique. Il y avait des arbres, des quantités de feuilles mortes aux pieds qui formaient un tapis, de la mousse à foison, un ancien rosier dont il ne restait que les épines et un banc en pierre qu'elle avait dégagé de sous un grand tas de feuilles.
Elle adorait les romans mystérieux, et ça ressemblait fortement à un mystère, une histoire tragique de fantômes, d'âmes envolées... Comme les pièces recouvertes de draps blancs et de poussière. Le silence même renferme la voix des disparus.

- Oui bien sûr!

*Sa réponse, empreinte d'un certain étonnement, n'en fusa pas moins avec force. Il avait envie de se promener, de faire prendre l'air à son estomac qui se retournait. Il ne savait pas où ils iraient mais au fond, est-ce que ça avait une quelconque importance? Son regard se posa alors sur le cochon rose, Bonbon. Il tolérait l'animal à la Cour malgré les nombreuses remarques mesquines de ses courtisans et il ne voyait aucune raison de ne pas continuer à le faire. L'animal était d'une sagesse et d'une propreté exemplaire. Au passage il se fit la promesse d'évincer les courtisans indésirables, quand le temps serait venu pour cela, quand il aurait repris le pouvoir pleinement.*

- Tu me dis où on va ou c'est une surprise?

*Quelque part, que l'enfant lui dise ou pas le lieu de promenade lui importait peu. Pour tout dire, il était trop encombré d'ambassadeur espagnol pour penser à autre chose bien longtemps. Le ton de sa voix était mort, et le pire c'est qu'il s'en rendait compte. Une part de lui était morte et il ne savait pas encore comment la faire renaitre. Il n'avait jamais voulu de cette place de tsar, il n'y était même pas destiné à l'origine, et il avait toujours espéré que Grigoriy prendrait la tête de l'Empire à la suite de leur père. Mais les choses ne s'étaient pas passées ainsi et à présent il lui fallait montrer qu'il méritait ce pouvoir. Le monde tournait à l'envers depuis la guerre, il lui faudrait le remettre à l'endroit. Il avait une responsabilité. Il pouvait la fuir, céder le pouvoir, mais quelque chose en lui lui interdisait une lâcheté pareille. Pour son père qui s'était battu pour que son empire ne sombre pas dans les ténèbres, pour que son frère ait un avenir, pour redonner la vie à son empire blessé, pour tout cela il se devait de reprendre la maitrise des choses.*

Gretchen réfléchit une minute puis répondit:

-C'est une surprise.

Elle aurait tout aussi bien pu lui dire, mais il lui semblait que le tsar avait bien besoin d'une certaine dose de surprise, en ce moment. Et puis elle ne savait pas comment expliquer où ils allaient. Dans un lieu secret et abandonné? Ca ne lui donnait pas d'indice. Autant le laisser découvrir dans tenter de nommer cet endroit innomable. Ne pas nommer parfois permet de profiter d'un regard neuf, et ce n'est pas une mauvaise chose.
Bonbon, lui, savait où ils allaient, et même s'il papillonnait à droite, à gauche, il suivait le chemin, qui s'enfonçait de plus en plus sous les arbres. Si elle n'avait pas su qu'il y avaait un jardin, derrière la barrière d'arbres, elle aurait pu penser que la forêt allait se densifier jusqu'à empêcher le passage. Et c'était justement ce qu'avaient du se dire les autres promeneurs. Surtout que dans les jardins impériaux, le plus souvent, on se promène pour être vus, pas pour disparaître sous les sapins.
Elle poussa deux ou trois branches, enjamba quelques troncs, s'assurant que le tsar la suivait toujours puis, enfin, ils arrivèrent au jardin secret.

-C'est là. Ici, au moins, il n'y a jamais personne. Jamais.

Un rayon de soleil perçait les arbres qui entouraient la clairière et donnait un aspect féérique au jardin. On se serait presque crus dans un conte de fée. Même le vent ne soufflait plus dans cet endroit qui semblait hors du temps. Un endroit parfait pour rêver. Où réfléchir, et Artur semblait en avoir bien besoin.

-Vous le connaissiez, ce jardin?

hj: il est sensé le connaitre? c'est le jardin de la tsarin ou..?

hj: non, c'est un jardin oublié, un jardin vraiment secret, et Artur peut ou non le connaître, c'est toi qui vois! C'est juste qu'il n'est pas connu de tous mais de très rares personnes!

- Eh bien je dois t'avouer que non... Je ne le connaissais pas du tout!

*Il se demanda tout à coup si son père l'avait connu... Bien sur, il était bien plus souvent au palais que lui... En repensant à tout le temps qu'il avait passé loin, persuadé qu'il retrouverait toujours les choses telles qu'ils les avait laissées à son retour, il en eut presque les larmes aux yeux. Mais il maitrisa rapidement cette faiblesse qui n'avait plus lieu d'être. Il était tsar, il ne pouvait pas pleurer. Il ne pouvait pas craquer, il devait être fort pour tous, pour leur redonner espoir!*

- Mais tu sais je n'ai jamais été un enfant très "jardins". J'aimais mieux les villes et les gens. C'est un défaut sans doute.

*Tout à coup il eut une idée. Une excellente idée. Rien de mieux pour redorer le blason russe que d'entreprendre des changements visibles, des améliorations qui feraient reluire le château et ses jardins. A l'image de la Russie toute entière.*

- Et tu sais quoi Gretchen? Si tu veux, je te le donne ce jardin!

*Il savait qu'un tsar n'aurait pas du se trouver là avec une petite fille, ni lui donner un jardin. Il aurait du être entouré d'une cour de riches nobles près à lui lécher les bottes pour un regard même méprisant. Mais il s'était juré de rester lui même, même une fois tsar. Il comptait bien respecter cette promesse, même si cela lui vaudrait sûrement de perdre en crédibilité. Qu'ils me haissent pourvu qu'ils me craignent disaient certains... Pas Artur.*

- Tu pourras y faire exactement tout ce que tu veux. Est-ce que ça te dit?

*Il s'assit par terre, sur la terre en friche. Il aurait aimé qu'elle lui raconte ce qu'elle comptait faire du jardin, mais il savait aussi qu'il n'avait pas le droit de le lui demander. Ce jardin lui appartenait, c'était son endroit secret et il n'avait pas à demander. Il ne voulait pas l'intimider, ni la contraindre à quoi que ce soit. Il ne voulait pas être juste un tsar. C'était bête, mais il voulait qu'on le traite comme tout être humain. Et pour cela il lui fallait se comporter comme tout un chacun, sans profiter de son rang.*

Gretchen avait bien observé Artur lorsqu'il avait dit qu'il n'aimait pas trop les jardins, petit. Elle le comprenait, c'était vrai qu'il y avait beaucoup plus d'animation à la Cour, et elle aimait ça aussi. Mais le jardin, c'était un instant de répis dans une vie bien remplie. Trop remplie parfois. Elle aimait particulièrement trouver des endroits où personne ne venait, pour rêver en paix. Lorsqu'elle entendit Artur lui proposer le jardin, Gretchen écarquilla les yeux: d'ordinaire, les adultes trouvaient ridicule de passer du temps dans les jardins. Il fallait se faire voir, alors le jardin n'était qu'un endroit comme les autres. Ni plus ni moins.

-Ce jardin? Pour moi?

Gretchen sautilla dans le petit jardin en détaillant ce qu'elle comptait y faire:

-D'abord, il faudrait désherber, pour sauver les rosiers. Parce qu'ils sont jolis, mais on ne le voit plus. Ensuite, je pense qu'il faudrait planter quelques plantes de couleur, mais qui résistent à la neige. Je ne sais pas, des sapins turquoise peut-être. Et puis je pense que pour que ce soit agréable en hiver, il faudrait que je construise un petit abri, où je pourrais aussi garder des fleurs, et pourquoi pas de quoi prendre le thé...

Gretchen était encore une petite fille, elle rêvait, malgré sa vie de luxe, d'avoir son paradis à elle, son pays imaginaire. Quand on vit tous les jours entourée de dizaines et de dizaines d'adultes, trouver un endroit où on peut être un enfant, ça n'a pas de prix.

*Il s'assit sur l'herbe, l'écoutant parler avec entrain de son jardin. La fraicheur de l'enfance, voilà ce qu'il lui manquait tant. Il avait tant perdu en si peu de temps qu'il se sentait brisé. Il avait l'impression que les anges l'apocalypse allaient s'abattre sur la Russie sans qu'il ne puisse rien y faire. Il imaginait parfaitement la terre s'ouvrir sur lui et ce serait la fin. Il se surprit à y penser avec soulagement et se sentit si lâche qu'il en eut honte. Il ne pouvait pas abandonner tous ces gens, pire, il ne pouvait pas abandonner son frère. Il lui fallait se secouer. Il se promit en lui même de recommencer à voir les nobles de la Cour, faire leur connaissance. il avait trop laissé couler ce genre de choses et il ne deviendrait jamais un grand tsar, puissant, s'il ne s'occupait pas de ses relations sociales avec plus d'entrain. Et qui sait, celui lui plairait même peut être!*

Gretchen voyait bien que le tasr n'était pas transporté par l'atmosphère ouatée du jardin. Il devait avoir des soucis importants, qui lui obscurcissaient les yeux. Elle savait bien ce qu'il se passait à la Cour: ça ne devait pas être facile, pour le nouveau tsar. Elle était bien contente de ne pas être tsar elle-même. Elle lui sourit, comme pour l'encourager à faire ce qu'il n'avait pas le courage de faire.

-Je crois qu'il y a des gens qui doivent vous chercher...

Elle l'autorisait à prendre congés, parce qu'après tout, un tsar qui discute avec une petite fille, on lui avait assez répété que c'était anormal. Elle adorait Artur, mais elle ne voulait pas que son autorité en pâtisse. Elle avait l'habitude d'être seule...

*Ameline observait l'échange respectueusement, sans oser trop rentrer dans le jardin. Sa mère lui avait appris qu'il valait mieux ne pas déranger les hommes si on voulait être tranquille, et même si le jeune homme semblait sympathique, elle n'osait pas les interrompre.*

*Comme mu par un pressentiment, Artur se retourna pour découvrir une enfant qu'il ne connaissait pas. Il semblait l'intimider beaucoup et il pensa qu'elle serait plus à l'aise avec Gretchen et que Gretchen serait contente de voir une petite fille de son âge. Ne la connaissant pas, il se douta qu'elle devait être Ameline d'Orléans. Il avait vu sa mère peu avant. Une fort jolie femme qui lui avait été recommandée par Mina d'Omsk. Et il ne pouvait que se féliciter de l'avoir à la Cour.*

- Je crois que je vais vous laisser entre filles!

*Devant l'air étonné de Gretchen, il fit un petit signe de tête en direction d'Ameline. Après quoi il prit congé des deux enfants.*

Gretchen salua le tsar et se leva, pour se rapprocher de la fillette qui était à l'entrée du jardin:

-Toi aussi, tu l'as trouvé, ce jardin.

Elle sourit:

-Moi c'est Gretchen, et si tu veux, on le partage! Artur vient de me dire que je pouvais y faire ce que je voulais.

Bonbon s'approcha de la fillette brune et entreprit de se frotter contre elle furieusement, comme pour dire: "je ne te connais pas mais quand tu auras mon odeur sur toi, on pourra être amis".

Gretchen sourit et présenta son ami rose à la queue en tire bouchon:

-Et lui, c'est Bonbon. Toi, comment tu t'appelles?